UN ANNIVERSAIRE DE CINEMA
Il y a des anniversaires plus joyeux et agréables que d’autres. Il y a quelques jours nous avons tous bouclé une année où le cinéma que nous aimons tant a été majoritairement empêché d’exister sous sa forme collective. En effet plus de six mois de fermeture de nos salles françaises, ont profondément modifié la consommation de films pour chacun. Plus que jamais ce sont les plateformes de streaming, vidéo à la demande à la location, l’achat ou par abonnement, qui se sont imposés comme les nouveaux acteurs majeurs du visionnage de produits culturels.
Si Netflix a assis son hégémonie, c’est de tout autre chose, en marge de cette exploitation commerciale reine, que nous avions envie de parler. Si cela fait un an que nos vies sont bouleversées dans leurs habitudes, cela fait également cette durée que plusieurs initiatives sont venues enrichir nos quotidiens, avec comme point commun la gratuité, le partage, et une certaine idée de l’altruisme et de l’offre culturelle qui est totalement absente des plateformes commerciales et leurs algorithmes aux antipodes de toutes les valeurs énumérées.
Il faut tout d’abord féliciter l’initiative de la Cinémathèque française qui, elle aussi fermée depuis de nombreux mois, a décidé pour la première fois de son histoire de créer une « salle virtuelle » baptisée « Henri », du prénom de son fondateur Henri Langlois. Si c’est également une plateforme, elle est totalement gratuite, et offre chaque jour un nouveau film, rare, à la disposition des cinéphiles du territoire. La notion de rareté évoquée est importante car elle est un fil rouge de toutes ces initiatives : sur Henri on va trouver des films jamais édités de Otar Iosseliani, Jacques Rozier, Jean Epstein ou des studios Albatros. Pour son premier anniversaire Henri propose pendant trois jours le seul court-métrage du regretté Jean-Claude Carrière, La pince à ongles, un essai autour du film de Jean-Luc Godard, Sauve qui peut (la vie), ou encore l’Aimée d’Arnaud Desplechin. Sublime documentaire sur la famille du cinéaste, à Roubaix, c’est une occasion rêvée de pouvoir le découvrir dans une très belle copie.
Dans le même ordre d’esprit c’est également la première année révolue du groupe Facebook La loupe, reprise en main notamment par le cinéaste Frank Beauvais. Groupe fermé accessible par invitations, c’est un lieu rêvé pour trouver tous les films devenus invisibles car boudés par l’exploitation commerciale tant physique que numérique. En effet, point ici de streaming ou téléchargement illégal, tous les films partagés ou demandés n’existent pas sur le marché. C’est l’occasion de souligner l’importance de la pérennité d’une offre DVD et Blu ray, l’offre numérique ne représentant qu’une infime partie de tous les films édités en France sur les vingt dernières années. Ce sont à l’heure actuelle des milliers de films qui ne sont plus disponibles où que ce soit et qui peuvent ainsi être échangés librement et légalement sur la loupe, qui plus est outil de prédilection pour les cinéastes et chercheurs en quête de pistes et idées sur leurs sujets de prédilection.
Dans cet esprit de gratuité et de partage, on trouve également le site Another Screen, émanation de la revue féministe Another Gaze, qui a mis récemment en ligne des court-métrages de la cinéaste italienne Cecilia Mangini, camarade de route de Pier Paolo Pasolini, et immense artiste injustement mise sous l’éteignoir. Le site fait bénéficier de ses trouvailles régulièrement, et ne demande qu’une participation à leur vie courante, ceci sans aucune obligation. Même pour le cinéphile le plus pointu c’est un moment de découverte des plus réjouissantes, preuve de la profondeur et de la diversité des œuvres qui n’ont pas eu la chance d’être considérées comme exploitables par une société privée dont la fenêtre de tir est fondée sur le profit et la rentabilité financière.
C’est le dénominateur commun a toutes ces entreprises culturelles, se placer en dehors du cadre corseté de l’exploitation commerciale. Faire découvrir l’oeuvre de Iosseliani ou de Cecilia Mangini, cela en dehors du cadre des cinémathèques physiques, c’est le magnifique cadeau que nous font ces collectifs de personnes qui si elles ne peuvent se rencontrer en ce moment, ont toutes pour projet commun de rassembler le plus grand nombre autour de films qui méritent une attention qui leur a souvent manqué. Que ce soit la loupe, Henri ou Another Screen, tous démontrent notre envie de cinéma en dehors des clous d’un marché qui réduit beaucoup trop le champ des possibles et des découvertes. Une offre culturelle vivante est riche, même en temps de pandémie mondiale, c’est bien cela que nous défendons chaque jour en vous proposant des pistes de films à découvrir dans nos Séances Buissonnières.
L’avenir étant toujours aussi incertain, il était important de louer ces beaux projets qui permettent de continuer à rêver et faire vivre notre si belle passion pour le septième art.