UN CERTAIN REGARD 2023 | Sélection de la 76e édition
Un des grands attraits de la sélection Un certain regard est d’avoir pris la décision de resserrer son approche autour des jeunes auteurs, se délestant d’un sentiment d’être devenue avec le temps une antichambre de la compétition officielle et une consolation pour les retoqués de grande piste cannoise. Depuis deux ans, les premiers films et regards émergents ont ainsi pu se développer au Regard, révélant des artistes aussi magnifiques que CB Yi (Moneyboys), Kira Kovalenko (Les poings desserrés) ou Gina Gamell et Riley Keough (War Pony, la Caméra d’or de l’an passé).
C’est dans ce nouveau cadre désormais « sanctuarisé » que s’ouvre l’édition 2023, avec le second long-métrage de Thomas Cailley, auteur des Combattants, avec Adèle Haenel et Kevin Azaïs, excellente première œuvre sortie il y a déjà neuf ans. Après la série Ad vitam, Cailley revient avec un nouveau film intitulé Le règle animal, où il réunit un casting dominé par Romain Duris et Adèle Exarchopoulos, avec Paul Kircher (Le lycéen de Christophe Honoré) et Nathalie Richard, habituée du cinéma de Bertrand Mandico et des univers décalés. L’histoire est ancrée dans la science-fiction et a des airs de la Planète des singes ou de L’Armée des douze singes, autour d’une histoire de mutations génétiques et d’animaux hybrides lâchés dans la nature par accident.
Ce ne sont pas moins de huit premiers films qui se taillent la part du lion au sein de cette sélection de 16 longs métrages, avec une variété de territoires assez impressionnante, de la France à la Mongolie en passant par l’Australie ou le Chili. Dans ce contingent de premières œuvres, on retrouve How to have sex de la britannique Molly Manning Walker, qui avait été sélectionnée pour le court-métrage Good thanks, You ? à la Semaine de la critique en 2020. Directrice de la photographie sur de nombreux films, elle a pu participer au laboratoire de talents Next Step de la sélection organisée par le Syndicat français de la critique de cinéma, et monter ce premier film long, dont l’histoire raconte des adolescentes vivant une vie nocturne agitée pendant leurs vacances, avec un éveil à la sensualité et aux amours de jeunesse.
Du côté du Soudan, Mohamed Kordofani s’intéresse à un ancien musicien du nord du pays, qui au moment de la sécession du sud, engage à son service une femme originaire de cette zone géographique par culpabilité d’avoir causé accidentellement le décès de son conjoint. Ancien ingénieur aéronautique reconverti dans le cinéma et installé dans l’émirat du Bahreïn, ce film est l’occasion pour lui de raconter une histoire au caractère éminemment politique et un chapitre douloureux de l’histoire récente de son pays d’origine. Le film a pour titre Goodbye Julia.
Les Colons est quant à lui le premier film du chilien Felipe Galvez. Il y est question d’une expédition organisée pour rallier le sud du pays, le long de la cordillère des Andes, menée par un certain MacLenan, vétéran de la guerre des Boers, conflit qui a frappé durement l’Afrique du sud entre 1880 et 1899. Monteur de formation, c’est un début dans le long métrage à 40 ans pour le natif de Santiago pour un récit qui promet une atmosphère de road trip éprouvante, genre toujours efficace et intéressant, à l’image du Jauja de Lisandro Alonso, prix FIPRESCI 2014 et sélectionné à Un certain regard.
On change de nouveau de continent avec Augure, de l’artiste polyvalent Baloji, entre Belgique et République démocratique du Congo. Ce film choral retrace l’histoire de quatre personnages considérés comme sorciers ou sorcières. Ils trouvent le moyen de s’entraider pour sortir de leur assignation dans une vision de l’Afrique fantasmagorique. Elevé à Liège après être né au Congo en 1978, Baloji a connu une carrière en tant que musicien avant de se lancer dans la réalisation, artiste touche à tout mettant lui aussi en valeur et en lumière son pays d’origine, dans une histoire typiquement africaine autour du concept de sorcellerie.
Si seulement je pouvais hiberner est sans doute le tout premier film mongol présenté en sélection officielle à Cannes. Zoljargal Purevdash en est la réalisatrice, et elle choisit de poser son regard sur un adolescent d’un quartier défavorisé de la capitale Oulan Bator. Déterminé à gagner un concours de sciences pour obtenir une bourse d’études et se construire un meilleur avenir, un aléa contrecarre ses plans. Il doit travailler pour subvenir aux besoins de sa famille en proie à de graves difficultés financières. À noter que le film possède déjà un distributeur français (Eurozoom), permettant de faire découvrir ces horizons à la marge des préoccupations de la cinématographie contemporaine.
Le très présent cinéma coréen délaisse enfin les cases habituelles de la séance de minuit, avec Hopeless du réalisateur Kim Changhoon, autre témoin de la grande vitalité du jeune cinéma coréen après le succès d’About Kim Sohee en clôture de la Semaine de la Critique 2022. Yeongyu est un jeune homme qui recherche à s’évader d’un quotidien très douloureux et qui rencontre le charismatique Chigeon, qui va l’entrainer dans l’univers du crime organisé. On retrouve au casting Song Joongki, révélé dans les dramas Descendants of the sun et Binsenjo, ainsi que dans la super production Netflix Space Sweepers avec Kim Taeri (Mademoiselle, Petite forêt). Face à lui on retrouve l’actrice Park Bokyung, connue notamment pour la série Little women.
Du côté de la France, c’est Delphine Deloget qui poursuit cette salve de premiers films avec Rien à Perdre. Elle a déjà à son actif deux co-réalisations de documentaires de long-métrage, mais c’est bien une première réalisation en solo de fiction qu’elle viendra présenter le mois prochain en sélection officielle. Virginie Efira y joue une mère séparée d’un de ses deux fils du fait d’une négligence domestique qui lui cause un accident et une blessure. Le film raconte la bataille judiciaire pour regagner la garde de cet enfant dans la ville de Brest. Autour de la grande actrice belge se présentent Arieh Wolthalter (Girl), Felix Lefebvre (Été 85) et Mathieu Demy.
Pour clore cette première partie de liste réservée aux premiers longs métrages, Les meutes de Kamal Lazraq nous emmène dans les faubourgs de la ville de Casablanca. Un père et un fils y mènent des petits trafics pour la pègre locale, vivant au jour le jour. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme, ce qui déclenche une série d’événements qui font basculer l’histoire dans le registre du film noir, le temps d’une nuit qui n’en finit plus. Le réalisateur est un ancien diplômé de la Fémis, grande école de cinéma parisienne. Primé sur scénario dans le cadre du Prix à la création de la fondation GAN en 2021, Les meutes vient après des courts métrages remarqués, notamment Drari, primé à la Cinéfondation à Cannes en 2011.
L’autre moitié de cette très ambitieuse sélection Un certain regard comprend des auteurs plus confirmés, mais encore dans une phase de découverte de leur cinéma avec beaucoup de deuxième et troisième films. C’est le cas de la Québécoise Monia Chokri, révélée comme cinéaste au Regard en 2019 avec La femme de mon frère. Après Babysitter en 2022, elle revient comme réalisatrice pour Simple comme Sylvain, pour une romance sur fond de thématique « transfuge de classe » et une fibre Roméo et Juliette contemporaine. Une professeur de philosophie venant d’un milieu très bourgeois, mariée, a un coup de foudre pour un charpentier qui doit rénover sa maison de campagne. Magalie Lépine Blondeau (déjà présente dans son premier film) et Pierre-Yves Cardinal (aperçu dans Le fils de Jean de Philippe Lioret) tiennent les premiers rôles de ce film intrigant.
Anthony Chen est un auteur qui s’était fait remarquer en 2013 en obtenant la Caméra d’or pour Ilo Ilo, prix récompensant le meilleur premier film toutes sélections confondues au festival de Cannes. Il demeure l’une des seules voix de son île, Singapour, dont il a continué à raconter l’histoire avec son deuxième film, Wet season. C’est avec The Breaking Ice qu’il revient à Cannes, tourné intégralement en Chine avec un casting continental. Il y a est question de trois personnages, deux hommes et une femme dans la vingtaine, qui entretiennent une relation le temps d’un hiver. C’est le deuxième film que le réalisateur de 40 ans présente en festival cette année après Drift, son premier long-métrage en langue anglaise qui a eu les honneurs de Sundance en janvier dernier.
C’est également un retour pour Stéphanie Di Giusto après La Danseuse en 2016, déjà à Un certain regard. Rosalie est l’histoire d’une jeune femme de la France de 1870, qui a un secret. Elle a une pilosité très fournie sur tout le corps et le visage qui l’oblige à se raser intégralement très régulièrement pour ne pas passer pour une phénomène de foire. Un point de non-retour intervient lors de son mariage avec Abel, qui la décide à s’accepter telle qu’elle est, avec toutes les conséquences que cela sous-entend. Pour monter cette histoire romanesque, la réalisatrice française a réuni un beau casting où l’on retrouve la très demandée Nadia Tereskiewcz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay et Guillaume Gouix.
L’enthousiasmant cinéma australien aura lui aussi un représentant en sélection officielle avec le nouveau film de Warwick Thornton, The New boy. Dans les années 1940, un orphelin aborigène de 9 ans arrive au milieu de la nuit dans un monastère. Celui-ci est dirigé par une religieuse renégate, qui va voir l’équilibre de son univers bouleversé par l’arrivée de ce nouveau protagoniste, entre lutte spirituelle et coût de la survie. Directeur de la photographie, scénariste, acteur et réalisateur, Thornton présente ici son sixième long-métrage, prolongeant une présence wallabie toujours plus importante dans les grands festivals internationaux, après Rolf de Heer et Ivan Sen à la Berlinale. Au casting, on retrouve Cate Blanchett, Deborah Mailman et Wayne Blair.
Le chevronné Rodrigo Moreno viendra quand à lui présenter Los Delicuentes, l’histoire d’employés de banque de Buenos Aires, qui planifient de voler une somme d’argent équivalente à leurs salaires cumulés les séparant de la retraite, cela afin de pimenter leur vie devenue trop morne et prévisible. On devrait y retrouver un style propre à l’Argentine aperçu chez le grand réalisateur Mariano Lliñas (La Flor) ou plus récemment dans Trenque Lauquen de Laura Citarella (à sortir en mai prochain), mais également un petit quelque chose qui n’est pas sans rappeler les films de Jonas Trueba (Eva en Août).
La mère de tous les mensonges est le deuxième film de la marocaine Asmae El Moudir, après la Carte postale sorti en 2020. C’est un documentaire où la réalisatrice se rend chez ses parents à Casablanca pour les aider à déménager. Elle découvre en rangeant leurs affaires une photo d’une petite fille qu’elle ne reconnaît pas. C’est toute la mémoire de sa famille, et de son pays, qu’elle va finir par explorer par le biais de cette découverte. Passée par la Fémis pour sa formation de cinéaste, elle avait bénéficié d’un financement de la plateforme Netflix pour la production du film au Maroc.
Ce sont enfin deux co-réalisations qui ferment le bal de cette très belle sélection avec tout d’abord un film entre Portugal et Brésil, La Fleur de Buriti (Crowrã), du duo Joaõ Salaviaz et Renée Nader Messora. Ce film marque leur retour en sélection officielle après Le chant de la forêt en 2018. Il y est question d’un personnage nommé Patpro, qui va parcourir trois époques de l’histoire de son peuple indigène d’Amérique du sud, au cœur de la jungle amazonienne, les KRAHO. C’est enfin en Iran avec Ali Asgari et Alireza Khatami que se conclut cette sélection 2023 d’Un certain regard, avec un film assez mystérieux intitulé Terrestrial Verses. Les deux scénaristes et cinéastes avaient présenté Juste une nuit au Panorama de la Berlinale l’an passé.
Dans les ajouts de « dernière minute », viennent compléter la sélection le nouveau film du réalisateur chinois Wei Shunjun, Only the River flows, un drame centré sur la jeunesse de son pays. Il semblerait également qu’Une nuit d’Alex Lutz, avec lui-même et Karin Viard, trouve un accessit en hors-compétition de cette sélection.