Vincent-Paul Boncour

VINCENT PAUL-BONCOUR | Entretien

Nous avions eu l’occasion de rencontrer Vincent Paul-Boncour en février 2020, quelques jours après le premier confinement relatif à la pandémie de Covid 19. 5 ans plus tard, nous avons retrouvé le co-fondateur et directeur de Carlotta Films pour un entretien chaleureux et passionné, autour de la restauration des films, de la (re)découverte d’auteur·e·s, de la collaboration avec les ayants-droits, de la fréquentation des salles et du rôle de prescripteur des distributeurs et éditeurs. 

Nous nous étions rencontrés une première fois, juste avant que le confinement qui ne bouleverse pas mal de choses concernant la fréquentation des cinémas, entre autres choses. Près de cinq ans après ces événements, quel regard portez-vous sur cette évolution ? Êtes-vous plutôt fataliste et estimez-vous qu’on ne reviendra jamais en arrière ou pensez-vous que c’est une question de cycles ?

Vincent Paul-Boncour :  J’ai envie de dire que ça revient déjà comme autrefois. Peut-être pas aussi fort. Pendant la pandémie, les salles étaient fermées, mais la vidéo physique pouvait être pouvait un peu continuer son activité. On a pu assurer, sans commune mesure avec les mois précédents, une activité depuis nos domiciles le suivi de notre planning des sorties vidéo, avec parfois des décalages. C’était important, financièrement bien sûr, mais aussi psychologiquement. Certaines sorties ont pu être un peu sacrifiées du fait de la fermeture des magasins. Mais beaucoup de personnes confinées ont ressorti leur collection ou ont commandé de nouveaux films. Les sites marchands proposaient une véritable actualité.

Quelque temps avant, on avait justement développé notre proposition de plateforme VOD, le vidéo club Carlotta. On a pu continuer à offrir une offre légale et à communiquer sur le cinéma. Mais maintenant, même si on n’est pas sur les fréquentations d’avant 2019, les salles font de très belles entrées. Ça a pris du temps, plus qu’on ne l’imaginait. À mon sens, on est repartis comme avant, comme pour les restaurants, les musées, les voyages. Il y a encore des choses à construire et à reconstruire, mais on est dans une belle dynamique. 

La lune s'est levée

La lune s’est levée de Kinuyo Tanaka (1955)

Pourriez-vous me décrire le processus de la restauration d’un film, notamment au niveau des droits, du timing, mais aussi de la partie technique qui peut s’avérer parfois compliquée ?

Notre cœur d’activité, c’est l’acquisition de films pour lesquels il existe déjà des éléments nouveaux. On arrive sur des projets qu’on recherche ou qu’on nous propose. Tout n’existe pas forcément en 2K ou 4K, et le public est habitué à une certaine exigence. Cette exigence, nous la revendiquons sur les titres que nous proposons et que nous distribuons. La plupart des titres que nous distribuons sont restaurés par les ayant-droits monde, en collaboration avec des fondations, des cinémathèques, etc. Ces organismes peuvent se permettre de financer de tels projets. Il y a des contraintes financières et de langue, l’anglais étant bien évidemment plus répandu que le français. Nous avons donc plutôt une économie franco-française. En n’ayant que les droits France, on n’a pas forcément la possibilité de financer une restauration. Pour Arrow ou Criterion, c’est forcément plus aisé en raison de l’aspect international par la langue anglaise de rentabiliser une restauration. Nous, nous bénéficions plutôt d’une mise à disposition de matériaux grâce aux ayants-droits. Les éditeurs américains ou anglais restaurent parfois eux-mêmes. 

On me dit parfois que le challenge c’est de faire venir les jeunes au cinéma, mais quand on va en salle, on voit beaucoup de jeunes qui se déplacent au cinéma ou qui vont dans les salons consacrés à la vidéo pour acheter du support physique.

Ça ne nous empêche pas d’être moteur sur certains projets, comme la rétrospective Kinuyo Tanaka, immense actrice du cinéma japonais, dont on a découvert qu’elle a aussi réalisé six films. On a eu ce projet, développé au départ par Locarno, puis avec l’Institut Lumière et le Festival de Cannes. Initié par la France, on a acquis pour la France les six films, issus de quatre studios différents. Locarno n’a pas pu le faire, à cause de la pandémie, mais on a rebondi et avec le Festival Lumière et le Festival de Cannes, on a pu proposer une retombée internationale. Et ainsi être convaincant auprès des ayants-droits pour qu’ils restaurent les films.

Mais, parfois on restaure nous-mêmes comme pour Bona de Lino Brocka. Ça a été un long travail de restauration, de recherche pour retrouver le matériel. On l’a restauré à Paris et là, on a tout fait de A à Z, y compris les coûts et les travaux de restauration, en collaboration avec Kani Films.  On a a acquis le film auprès de la productrice (et actrice) du film, Nora Aunor, qui vient tristement de nous quitter, on a négocié pour avoir les droits monde (hors Asie). Il y a bien sûr d’autres cas de figures. 

Ça peut bien sûr prendre du temps ?

C’est parfois un travail de longue haleine qui peut prendre plusieurs années. Sur Tanaka, c’est un projet de trois ans. A partir du moment où on s’y met. Pour Bona, il a fallu trouver les ayants droits, le matériau, négocier…ça peut parfois être très long. 

Les plateformes et les séries TV n’ont-elles pas influencé notre façon de visionner un film ? Comme le fait de visionner certains films en plusieurs fois, ou en zappant le générique de fin ? 

Il y a peut-être quelque chose qui se joue comme ça, notamment avec les nouvelles générations, parfois adeptes du zapping, ou dont l’attention est plus difficile à capter. Mais il y a encore des gens très cinéphiles. On me dit parfois que le challenge c’est de faire venir les jeunes au cinéma, mais quand on va en salle – moi-même ou des membres de mon équipe – on voit beaucoup de jeunes qui se déplacent au cinéma ou qui vont dans les salons consacrés à la vidéo pour acheter du support physique. Il y a des passionnés de toutes les générations. Maintenant on peut avoir son home cinéma.

Malgré toutes les révolutions en rapport avec le cinéma – la télévision, la VHS, Canal+, la Vod – et malgré le fait qu’on annonce régulièrement la mort du cinéma en salle, la fréquentation de ces dernières continue et a connu un retour à la hausse. Aller en salle, être abonné·e à une ou des plateforme(s) et acheter du support physique, ce n’est absolument pas incompatible. Il y aussi un lien social très fort lié à ça. Récemment, avec la disparition de David Lynch, on a pu constater un affect incroyable autour de ce réalisateur, qui n’avait quasiment rien fait depuis plus de vingt ans. Beaucoup de spectateurs se sont déplacés pour revoir certains de ses films en salles plutôt que de les revoir sur des plateformes.

Le public est potentiellement là, mais il est très sollicité, surtout dans les grandes villes comme Paris. Dans beaucoup de villes de province, il y aussi une véritable offre et une véritable dynamique, une véritable diversité, mais il faut être vigilant, tout cela peut disparaître. C’est là où notre rôle de prescripteur, de curateur est important. Savoir aiguiller le spectateur, en faisant découvrir des films comme La Vengeance de la sirène ou Bona. Il faut savoir travailler les réseaux sociaux, la presse et le bouche à oreille. 

En dehors des films que vous visionnez dans le cadre professionnel, trouvez-vous encore le temps de beaucoup aller au cinéma, de voir et de revoir des films ?

Je continue à voir beaucoup de films, en salle ou tout autre média. Je fréquente forcément moins les salles de cinéma que lorsque j’étais étudiant, mais ça fait partie de l’évolution de la vie : le travail, les enfants… Néanmoins, je continue à aller intensivement en salle à Paris, en province, dans le reste du monde, dans le cadre des festivals, les marchés des films, c’est important, vital et fait partie de mon quotidien.

Hitchcock

Coffret Hitchcock en 10 films, disponible depuis le 15 avril 2025

Avez-vous eu des coups de cœur récents au cinéma ? Et en vidéo ?

Ces derniers mois, j’ai beaucoup apprécié The Apprentice et City of darkness, pour les sorties cinéma. Concernant la vidéo, ça ne me vient pas comme ça, mais ce qui est vraiment réjouissant, c’est qu’il existe un vrai marché. Un marché de niche certes, mais très diversifié. 

Récemment Carlotta a sorti un coffret Hitchcock, composé de 10 films assez rares. Pourriez-vous nous parler un peu de cette sélection, d’autant plus que ce metteur-en-scène a été l’un de vos premiers grands chocs cinéphiliques d’après ce que vous nous disiez dans notre précédent entretien ?

Nous aimons à la fois ressortir des grands classiques, mais aussi faire connaître des choses rares ; cette sélection de films d’Alfred Hitchcock est à mi-chemin entre les deux. On n’a plus besoin de présenter Hitchcock, il demeure la porte d’entrée vers la cinéphilie. Il reste un des réalisateurs numéro 1 et beaucoup de choses ont déjà été faites, notamment par nous. On avait fait le coffret Selznick, avec quatre films. Ce nouveau projet n’est pas une idée qui vient de nous, c’est une émanation de Studio Canal, qui possède les droits de ces films d’Hitchcock, de sa période anglaise, et qui les a restaurés. Ils existaient il y a longtemps en DVD.

Pour faire un travail de longue haleine sur du film de patrimoine, il faut qu’on ait au moins cinq ans. On est sur des temporalités différentes.

Studio Canal est un des ayants-droits avec qui on travaille historiquement depuis le début de Carlotta Films. On a souvent sorti en salles des films de leur catalogue. Ils n’étaient pas sûrs de sortir ces nouvelles restaurations des « early Hitchcock » en France. Lorsqu’on a appris cela, on leur a manifesté notre intérêt de faire ce travail de fourmi autour de cet évènement, aussi bien en salle qu’en vidéo. Hitchcock est très important pour nous. Le premier film que nous avons ressorti en salles, c’était La Mort aux trousses et suite à cela, Hitchcock a régulièrement été l’objet pour Carlotta de ressorties cinéma ou de sorties vidéo. Ici, c’est un projet plus atypique, car il s’agit de films beaucoup moins connus, même des fans d’Hitchcock. Mais c’est intéressant, car ce coffret constitue un peu la dernière pierre de l’édifice. Il n’y a peut-être pas que des chefs-d’œuvre absolus, mais que des très bons films oui ! Il y a par exemple BlackmailChantage – un film policier qui fait la passerelle entre son cinéma muet et le parlant. Il y a deux versions de Blackmail, la muette et la parlante. Et, comme le dit le documentaire, ces films sont des œuvres matricielles. Tout Hitchcock est déjà là. On a proposé ces films en salle et peu de temps après, on propose le coffret de ces films qui permet d’avoir quasiment tout Hitchcock chez soi. 

Généralement pour combien de temps êtes-vous détenteur des droits d’un film ? On rêve de voir en blu-ray un des coffrets DVD Carlotta maintenant épuisé : celui consacré à Lionel Rogosin. 

C’est variable. Traditionnellement, on est sur des contrats de cinq ans, mais ça peut aller de cinq à dix ans. Rarement plus, rarement moins. Pour faire un travail de longue haleine sur du film de patrimoine, il faut qu’on ait au moins cinq ans. Dix ans, c’est mieux. Entre la signature du contrat et la sortie, ça peut prendre du temps. Par exemple, le coffret Mai Zetterling est sorti il y a peu, alors qu’on a distribué les films en salle il y a environ un an et demi. On est sur des temporalités différentes et pus il s’avère qu’on est sur un volet d’acquisitions assez important.

Mai Zetterling

Amorosa de Mai Zetterling

Sur certains projets, on a parfois l’impression d’avoir fait le tour. On peut prolonger des droits, mais c’est aussi de l’argent, il faut faire des choix. On ne peut pas tout faire. On sort aussi des films qui avaient été déjà sortis par d’autres éditeurs, ou inversement : on avait sorti plusieurs films de Douglas Sirk en DVD et maintenant ces films sont disponibles en Blu-ray chez un autre éditeur. Et c’est très bien que ça se passe comme ça. Bien sûr, on est parfois attaché à certains réalisateurs, c’est une forme de fidélité. Lionel Rogosin, ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple, c’est la niche de la niche. Alors c’est vrai que lorsque les gens voient ses films, ils sont généralement scotchés, mais ce n’est pas évident à sortir. C’était un projet avec la Cineteca di Bologna, qu’on a adoré, qui nous correspond tellement bien.

Pensez-vous que votre métier et votre mission demeurent méconnus ?

On fait un métier de l’ombre. Beaucoup de gens ne savent pas forcément ce qu’est un distributeur, un éditeur de films… Même si un public cinéphile nous identifie bien, comme pour d’autres éditeurs. On sait qu’on n’achète pas les films au kilo, on considère que Carlotta Films représente un gage de qualité, éditorialement, au niveau matériel, et une garantie que l’œuvre choisie sera vraiment intéressante. Toutefois, on n’est pas obligé de raconter sa vie sur les réseaux sociaux – comment on a acquis les droits d’un film, les difficultés, problèmes de livraison, des prestataires, si l’on est satisfaits ou non des aides du CNC, etc. On est là pour parler cinéma, le défendre au mieux, le faire connaître, transmettre auprès de tous les publics, toutes générations, vivre et aimer le cinéma, sous toutes ses facettes. 


Entretien réalisé par Eric Fontaine pour Le Bleu du Miroir
Remerciements : Vincent-Paul Boncour, Lucie Mottier

Le coffret Hitchcock en 10 films :  aux origines du suspense est disponible depuis le 15 avril. Il comporte 7 Blu-ray et un livret de 64 pages, permettant de découvrir ou revoir une partie assez méconnue de la filmographie du maître du suspense.